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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Et avant de me remettre à écrire il faut que j’aie expédié un travail que j’ose qualifier de gigantesque. Il y aurait de quoi me conduire à Charenton si je n’avais pas la tête forte. D’ailleurs, c’est mon but (secret) : ahurir tellement le lecteur qu’il en devienne fou. Mais mon but ne sera pas atteint, par la raison que le lecteur ne me lira pas ; il se sera endormi dès le commencement.

Madame Lapierre a dit avant-hier, à ma nièce, que vous étiez re-malade, pauvre chérie ! Et qu’une fluxion gâtait votre belle mine[1]. Je la bécote nonobstant en ma qualité d’idéaliste. Votre état de permanente souffrance m’embête, m’éluge, m’afflige.

Le moral y est pour beaucoup, j’en suis sûr. Vous êtes trop triste, trop seule ! On ne vous aime pas assez ! Mais rien n’est bien dans ce monde. Sale invention que la vie, décidément ! Nous sommes tous dans un désert, personne ne comprend personne (je parle des natures d’élite !)

Et re-voilà une autre année ! Je vous la souhaite meilleure que celle qui est en train d’expirer (la sacrée rosse !). Que la nouvelle vous apporte tous les bonheurs que vous méritez, ma chère, ma véritable amie ! — Il y a une chose qu’il faut se souhaiter, même avant la santé, c’est la bonne humeur ! Prions le ciel qu’il nous l’accorde.

J’oubliais une anecdote qui va vous faire plaisir : Vendredi dernier, étant à la cathédrale de Rouen pour un enterrement, un employé des

  1. Le 13 janvier 1879, Maupassant écrit à Flaubert : « Notre pauvre amie, Madame Brainne, n’a pas de chance. Elle a en même temps une inflammation d’un œil qui l’empêche de lire et d’écrire, et une entorse. »