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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Vous me paraissez veule et triste. Pourquoi ? Est-ce la question d’argent ? Eh bien, et moi, donc ! Je n’en travaille pas moins, et même plus que jamais. Si je continue de ce train-là, j’aurai fini Hérodias à la fin de février. Au jour de l’an, j’espère être à la moitié. Que sera-ce ? Je l’ignore. En tout cas, ça se présente sous les apparences d’un fort gueuloir, car, en somme, il n’y a que ça : la Gueulade, l’Emphase, l’Hyperbole. Soyons échevelés !

J’ai lu, comme vous, quelques fragments de l’Assommoir. Ils m’ont déplu. Zola devient une précieuse, à l’inverse. Il croit qu’il y a des mots énergiques, comme Cathos et Madelon croyaient qu’il en existait de nobles. Le Système l’égare. Il a des Principes qui lui rétrécissent la cervelle. Lisez ses feuilletons du lundi, vous verrez comme il croit avoir découvert « le Naturalisme ! » Quant à la poésie et au style, qui sont les deux éléments éternels, jamais il n’en parle ! De même, interrogez notre ami Goncourt. S’il est franc, il vous avouera que la littérature française n’existait pas avant Balzac. Voilà où mènent l’abus de l’esprit et la peur de tomber dans les poncifs.

Avez-vous lu, dans le numéro de décembre de la feuille bulozienne, un article de Renan que je trouve incomparable comme originalité et hauteur morale ? De plus, dans le même numéro, un bavardage du citoyen Montégut, où tout en niant absolument mes livres (sans parler de Salammbô), il me compare à Molière et à Cervantès. Je ne suis pas modeste, mais, bien que seul et « dans le silence du cabinet », j’en ai rougi de honte. On n’est pas d’une bêtise plus dégoûtante.