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CORRESPONDANCE

dans un livre, et moi très satisfait quand j’ai écrit une page sans assonances ni répétitions. Je donnerais toutes les légendes de Gavarni pour certaines expressions et coupes des maîtres comme « l’ombre était nuptiale, auguste et solennelle », de Victor Hugo, ou ceci du président de Montesquieu : « Les vices d’Alexandre étaient extrêmes comme ses vertus. Il était terrible dans sa colère. Elle le rendait cruel ».

Enfin, je tâche de bien penser pour bien écrire. Mais c’est bien écrire qui est mon but, je ne le cache pas.

Il me manque « une vue bien arrêtée et bien étendue sur la vie ». Vous n’éclairerez pas mes ténèbres avec de la métaphysique, ni les miennes ni celles des autres. Les mots religion ou catholicisme, d’une part ; progrès, fraternité, démocratie de l’autre, ne répondent plus aux exigences spirituelles du moment. Le dogme tout nouveau de l’égalité, que prône le radicalisme, est démenti expérimentalement par la physiologie et par l’histoire. Je ne vois pas le moyen d’établir aujourd’hui un principe nouveau, pas plus que de respecter les anciens. Donc je cherche, sans la trouver, cette idée d’où doit dépendre tout le reste.

En attendant, je me répète le mot que Littré m’a dit un jour : « Ah ! mon ami, l’homme est un composé instable, et la terre une planète bien inférieure. »

Rien ne m’y soutient plus que l’espoir d’en sortir prochainement et de ne pas aller dans une autre qui pourrait être pire. « J’aimerais mieux ne pas mourir », comme disait Marat. Ah ! non ! assez, assez de fatigues !