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CORRESPONDANCE

Émile et Julio m’attendaient sur la porte. J’ai rangé toutes mes affaires ; puis, le mal de tête m’a empêché de dormir. J’ai fait un tour dans le jardin, j’ai dîné, je me suis couché à 9 h. ½. J’ai été réveillé à 10 heures par les hurlements lugubres de mon chien, qui regrette ses compagnons de Couronne ; ils étaient d’une douceur et d’une tristesse inexprimables : on aurait dit le son d’une grosse flûte. Ils ne m’ont pas agacé, mais navré, et comme ils n’ont pas duré longtemps, je me suis endormi.

Ce matin, j’ai fait une visite à Fortin. J’ai écrit plusieurs billets. La lettre où je donne congé à M. Clausse[1] va partir en même temps que celle-ci ; — et voilà tout, ma chère fille !

Le jardin est charmant, et la maison en bon état, très propre et prête à te recevoir (un calme plat sur la rivière et un grand silence autour de moi). Je n’ai pas encore eu le cœur de faire ma tournée dans les chambres. Hier, je me sentais trop délabré, et aujourd’hui je veux, je veux à toute force travailler. La soirée d’hier n’a pas été précisément folichonne ! Mais il faut être philosophe. J’aimerais mieux être heureux, ce serait plus simple.

Cependant, si ton mari se tirait d’affaires, si je le revoyais gagnant de l’argent et confiant dans l’avenir comme autrefois, si je me faisais avec Deauville 10 000 livres de rente, de façon à pouvoir ne plus redouter la misère pour deux, et si Bouvard et Pécuchet me satisfaisaient, je crois que je ne me plaindrais plus de la vie.

  1. Clausse, propriétaire de l’appartement de Flaubert, rue Murillo.