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APPENDICE.

nesse, avec un enfant qui n’était pas le sien, et qu’il chérissait comme son fils.

Leur tendresse avait redoublé pendant les derniers jours. Mais deux autres personnes se montrèrent simplement atroces, — comme pour confirmer cette règle qui veut que les poètes trouvent dans leur famille les plus amers découragements ; car les observations énervantes, les sarcasmes mielleux, l’outrage direct fait à la Muse, tout ce qui renfonce dans le désespoir, tout ce qui vous blesse au cœur, rien ne lui a manqué, — jusqu’à l’empiètement sur la conscience, jusqu’au viol de l’agonie !

Ses compatriotes se portèrent à ses funérailles comme à l’enterrement des hommes publics, les moins lettrés comprenant qu’une intelligence supérieure venait de s’éteindre, qu’une grande force était perdue. La presse parisienne tout entière s’associa à cette douleur ; les plus hostiles même n’épargnèrent pas les regrets ; ce fut comme une couronne envoyée de loin sur son tombeau. Un écrivain catholique y jeta de la fange.

Sans doute, les connaisseurs de vers doivent déplorer qu’une lyre pareille soit muette pour toujours ; mais ceux qu’il avait initiés à ses plans, qui profitèrent de ses conseils, qui enfin connaissaient toute la puissance de son esprit, peuvent seuls se figurer à quelle hauteur il serait parvenu.

Il laisse, outre ce volume et Aïssé, trois comédies en prose, une féerie, et le premier acte du Pèlerinage de Saint-Jacques, drame en vers et en dix tableaux.

Il avait en projet deux petits poèmes : l’un intitulé le Bœuf, pour peindre la vie rustique du Latium ; l’autre, le Dernier Banquet, aurait fait voir un cénacle de patriciens qui, pendant la nuit où les soldats d’Alaric vont prendre Rome, s’empoisonnent tous dans un festin, en disant la grandeur de l’antiquité et la petitesse du monde moderne. De plus, il voulait faire un roman sur les païens du Ve siècle, contre-partie des Martyrs, mais, avant tout, son conte chinois, dont le scénario est complètement écrit ; enfin, comme ambition suprême, un poème résumant la science moderne et qui aurait été le de Natura rerum de notre âge.

III

À qui appartient-il de classer les talents des contemporains, comme si on était supérieur à tous, de dire : Celui-ci est le premier, celui-là le second, cet autre le troisième ? Les revirements de la célébrité sont nombreux. Il y a des chutes sans retour, de longues éclipses, des réapparitions triomphantes. Ronsard, avant Sainte-Beuve, n’était-il pas oublié ? Autrefois Saint-Amand passait pour un moindre poète que Jacques Dellile. Don Quichotte, Gil