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APPENDICE.

dramatique, — et soyez sûr, honorable monsieur, que votre réputation fût-elle « suffisamment établie », et bien que vous ressembliez à Louis Bouilhet, car votre « talent », à vous aussi, n’est pas « à l’abri de toute critique », et vous n’êtes non plus ni « un écrivain original », ni « un auteur de premier ordre », jamais on ne vous appellera « un élève » même « heureux » d’Alfred de Musset !

Sur ce point, d’ailleurs, votre mémoire est en défaut. Un de vos collègues à l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen n’a-t-il pas débité, dans la séance publique du 7 août 1862, un éloge pompeux de Louis Bouilhet ? Il le mettait très haut comme auteur dramatique et le défendait si bien d’être un imitateur d’Alfred de Musset, qu’ayant moi-même à dire la même chose dans la préface de Dernières Chansons, je n’ai eu qu’à me rappeler, ou plutôt qu’à copier, les phrases mêmes de mon vieil ami Alfred Nion, le frère de M. Émile Nion, l’adjoint, celui qui manque de témérité !

Que craignez-vous donc, ô adjoint chargé spécialement des Beaux-Arts ? « L’encombrement sur vos places publiques ? »

Mais les poètes comme celui-là (ne vous en déplaise) ne sont pas précisément innombrables.

Depuis que vous avez refusé d’accepter son buste, malgré le don de notre fontaine, vous avez perdu un des vôtres, votre adjoint, M. Thubeuf ; je ne voudrais rien dire de méséant, ni outrager le deuil d’une famille que je n’ai pas l’honneur de connaître, mais il me semble que, dès maintenant, Nicolas-Louis-Juste Thubeuf est aussi ignoré qu’un Pharaon de la 23e dynastie, — tandis que le nom de Bouilhet s’étale aux vitrines de toutes les librairies de l’Europe, qu’on monte Aïssé à Saint-Pétersbourg et à Londres, et que ses pièces seront jouées et ses vers réimprimés dans six ans, dans vingt ans, dans cent ans peut-être et au-delà.

Car on ne vit dans la mémoire des hommes que si on leur a donné de grands amusements ou rendu de grands services. Vous n’êtes pas faits pour nous fournir les uns ; accordez-nous les autres.

Et au lieu de vous livrer à la critique littéraire, distraction en dehors de votre compétence, occupez-vous de choses plus sérieuses, telles que :

La construction d’un pont fixe ;

La construction d’entrepôts-magasins sur la rive droite de la Seine ;

L’élargissement de la rue Grand-Pont ;

Le percement d’une rue allant du Palais-de-Justice aux quais ;

La vente des Docks ;

L’achèvement de la sempiternelle flèche de la cathédrale, etc., etc.