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CORRESPONDANCE

ou plutôt chère amie, vous avez raison de croire que je ne vous oublie pas. Je songe à vous profondément et avec une intensité indicible. N’êtes-vous-pas liée à ce qu’il y a de meilleur dans mon passé ? Votre souvenir n’amène à ma pensée que des choses charmantes.

Puisque vous devez aller à Paris cet hiver, faites-moi savoir ce voyage-là un peu d’avance et je me rendrai près de vous tout de suite. Nous en aurons à nous dire, et je vous lirai tout ce que j’ai fait depuis l’époque immémoriale où nous nous sommes quittés.

Je suis si dégoûté de tout que je ne veux pas maintenant publier. À quoi bon ? Pourquoi ? Je vais commencer un livre qui va m’occuper pendant plusieurs années. Quand il sera fini, si les temps sont plus prospères, je le ferai paraître en même temps que Saint Antoine. C’est l’histoire de ces deux bonshommes qui copient une espèce d’encyclopédie critique en farce. Vous devez en avoir une idée. Pour cela, il va me falloir étudier beaucoup de choses que j’ignore : la chimie, la médecine, l’agriculture. Je suis maintenant dans la médecine. Mais il faut être fou et triplement frénétique pour entreprendre un pareil bouquin ! Tant pis, à la grâce de Dieu ! Et fût-il un chef-d’œuvre (et surtout si c’est un chef-d’œuvre), il n’aura pas le succès de l’Homme-femme[1]. Ah ! moi

  1. Le comte Henry-Amédée Lelorgne d’Ideville avait publié chez Dentu, en 1872, une brochure de 477 pages, intitulée : L’homme qui tue et l’homme qui pardonne, précédé d’une lettre à M. Alexandre Dumas fils. Dumas répliqua par un livre intitulé : L’homme-femme, réponse à M. d’Ideville. Ce livre n’eut pas moins de 37 éditions en cette année 1872. [Note de René Descharmes.]