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CORRESPONDANCE

dire que je ne sais par où commencer. Mais comme c’est bête de vivre ainsi séparés quand on s’aime !

Avez-vous dit à Paris un éternel adieu ? Ne vous y verrai-je plus ? Viendrez-vous cet été à Croisset entendre Saint Antoine ?

Moi je ne puis aller à Nohant, parce que mon temps, vu l’étroitesse de ma bourse, est calculé ; or, j’ai encore pour un bon mois de lectures et de recherches à Paris. Après quoi je m’en vais avec ma mère ; nous sommes en quête d’une dame de compagnie. Ce n’est pas facile à trouver. Donc vers Pâques je serai revenu à Croisset et je me remettrai à la copie. Je commence à avoir envie d’écrire.

Présentement je lis, le soir, le Critique de la raison pure, de Kant, traduit par Barni, et je repasse mon Spinoza. Dans la journée je m’amuse à feuilleter des belluaires[1] du moyen âge, à chercher dans les « auteurs » tout ce qu’il y a de plus baroque comme animaux. Je suis au milieu des monstres fantastiques.

Quand j’aurai à peu près épuisé la matière, j’irai au Muséum rêvasser devant les monstres réels, et puis les recherches pour le bon Saint Antoine seront finies.

Vous m’avez, dans votre avant-dernière lettre, témoigné des inquiétudes sur ma santé ; rassurez-vous. Jamais je n’ai été plus convaincu qu’elle était robuste. La vie que j’ai menée cet hiver était faite pour tuer trois rhinocéros, ce qui n’empêche pas que je me porte bien. Il faut que le fourreau soit

  1. Erreur (de Flaubert ?) pour : bestiaire.