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CORRESPONDANCE

ne veux vous donner aucun espoir, mais je voudrais vous retirer la désespérance.

Savez-vous ce qui m’effraie pour l’avenir prochain de la France ? C’est la réaction qui va se faire. Peu importe le nom dont elle se couvrira, elle sera anti-libérale. La peur de la Sociale va nous jeter dans un régime conservateur d’une bêtise renforcée. N’importe ! L’arrestation de Rochefort m’a causé un moment de gaieté. Ce n’est pas lui que je voudrais voir puni, ou plutôt je voudrais voir étouffés dans la boue, avec sa sotte personne, tous les crétins qui se pâmèrent devant son style ! Quand je songe à la gigantesque stupidité de ma patrie, je me demande si elle a été suffisamment châtiée ?…

J’ai rencontré par hasard le duc d’Albufera et Boittelle. Je n’ai depuis longtemps aucune nouvelle de Mme Sand. Me garde-t-elle rancune à propos de mes lettres « désillusionnantes » ? Je crois que non, cependant. Je la calomnie. Comme Thiers vient de nous rendre un très grand service, avant un mois il sera l’homme le plus exécré de son pays ; c’est dans l’ordre[1]. Il se pourrait aussi qu’on prorogeât ses pouvoirs pour deux ans et, dans ce cas-là, les amis se remueraient pour vous prouver que tous ne sont pas oublieux.

Donnez-moi de vos lignes fréquemment.

Je vous baise les deux mains et suis, Princesse, votre fidèle et dévoué.


  1. M. Thiers fut élevé à la première magistrature de la République le 1er  septembre 1871.