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CORRESPONDANCE

apercevoir, vous lui tendez, de loin, la main. Avec les meilleures intentions du monde, vous allez peut-être contribuer à des choses mauvaises !

Toute notion de justice étant dissoute, on se réjouit déjà à l’idée de voir guillotiner Rochefort. Pour moi, je m’en console. Mais à ceux qui l’ont applaudi, à ceux qui l’ont fait, que direz-vous ? Vu la bêtise de la France, il mérite peut-être un acquittement solennel ?

Oui ! Car le premier qui m’a vanté la Lanterne, c’est un magistrat (le sieur X***) ; et celui qui me l’a fait lire, c’est un ecclésiastique (le curé d’Ouville). Le président Benoist-Champy en faisait des lectures chez lui à ses soirées, etc., etc. ! Et tout l’entourage impérial, sans compter l’Empereur lui-même, se pâmait devant ses ordures avec tant d’enthousiasme que le malheureux Octave Feuillet n’osait dire son avis, de peur de passer pour un courtisan et un jaloux. Ainsi du reste !

Voilà trop de littérature, pardon ! Mais, comme vieux romantique, j’ai été ce matin exaspéré par votre journal. La sottise du père Hugo me fait assez de peine sans qu’on l’insulte dans son génie. Quand nos maîtres s’avilissent, il faut faire comme les enfants de Noé, voiler leur turpitude. Gardons au moins le respect de ce qui fut grand. N’ajoutons pas à nos ruines.

Adieu, ou plutôt à bientôt. Le fiel m’étouffe et le chagrin me ronge.

Je vous serre la main très fort.