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CORRESPONDANCE

L’avant-dernier dieu, qui était le suffrage universel, vient de faire à ses adeptes une farce terrible en nommant « les assassins de Versailles ». À quoi faut-il donc croire ? À rien ! C’est le commencement de la sagesse. Il était temps de se défaire « des principes » et d’entrer dans la Science, dans l’examen. La seule chose raisonnable (j’en reviens toujours là), c’est un gouvernement de mandarins, pourvu que les mandarins sachent quelque chose et même qu’ils sachent beaucoup de choses. Le peuple est un éternel mineur, et il sera toujours (dans la hiérarchie des éléments sociaux) au dernier rang, puisqu’il est le nombre, la masse, l’illimité. Peu importe que beaucoup de paysans sachent lire et n’écoutent plus leur curé ; mais il importe infiniment que beaucoup d’hommes, comme Renan ou Littré, puissent vivre et soient écoutés. Notre salut est maintenant dans une aristocratie légitime, j’entends par là une majorité qui se composera d’autre chose que de chiffres.

Si l’on eût été plus éclairé, s’il y avait eu à Paris plus de gens connaissant l’histoire, nous n’aurions subi ni Gambetta, ni la Prusse, ni la Commune. Comment faisaient les catholiques pour conjurer un grand péril ? Ils se signaient en se recommandant à Dieu et aux saints. Nous autres, qui sommes avancés, nous allions crier : « Vive la République ! » en évoquant le souvenir de 92 ; et on ne doutait pas de la réussite, notez-le. Le Prussien n’existait plus, on s’embrassait de joie et on se retenait pour ne pas courir vers les défilés de l’Argonne, où il n’y a plus de défilés ; n’importe, c’est de tradition. J’ai un ami à Rouen qui