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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Il y a longtemps que votre vieux troubadour vous attend ! Votre lettre de ce matin m’a attendri. Quel fier bonhomme vous faites, et quel immense cœur vous avez !

Je ne suis pas comme beaucoup de gens que j’entends se désoler sur la guerre de Paris. Je la trouve, moi, plus tolérable que l’invasion. Il n’y a plus de désespoir possible, et voilà ce qui prouve, une fois de plus, notre avilissement. « Ah ! Dieu merci, les Prussiens sont là ! » est le cri universel des bourgeois. Je mets dans le même sac messieurs les ouvriers, et qu’on f… le tout ensemble dans la rivière ! — ça en prend le chemin, d’ailleurs — et puis le calme renaîtra. Nous allons devenir un grand pays plat et industriel comme la Belgique. La disparition de Paris (comme centre de gouvernement) rendra la France incolore et lourde. Elle n’aura plus de cœur, plus de centre, et, je crois, plus d’esprit.

Quant à la Commune, qui est en train de râler, c’est la dernière manifestation du moyen âge. La dernière ? Espérons-le !

Je hais la démocratie (telle du moins qu’on l’entend en France), c’est-à-dire l’exaltation de la grâce au détriment de la justice, la négation du droit, en un mot l’anti-sociabilité.

La Commune réhabilite les assassins, tout comme Jésus pardonnait aux larrons, et on pille les hôtels des riches, parce qu’on a appris à maudire Lazare, qui était, non pas un mauvais riche, mais simplement un riche. « La République est au-dessus de toute discussion » équivaut à cette croyance : « le Pape est infaillible ! » Toujours des formules ! toujours des dieux !