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DE GUSTAVE FLAUBERT.

ton retour. Ce sera une grande déception pour ta grand’mère qui est à bout de force et de patience. La route de Saint-Valéry est toujours là, mais est-elle sûre ?

La capitulation de Paris, à laquelle on devait s’attendre pourtant, nous a plongés dans un état indescriptible ! C’est à se pendre de rage ! Je suis fâché que Paris n’ait pas brûlé jusqu’à la dernière maison, pour qu’il n’y ait plus qu’une grande place noire. La France est si bas, si déshonorée, si avilie, que je voudrais sa disparition complète. Mais j’espère que la guerre civile va nous tuer beaucoup de monde. Puissé-je être compris dans le nombre ! Comme préparation à la chose, on va nommer des députés. Quelle amère ironie ! Bien entendu que je m’abstiendrai de voter. Je ne porte plus ma croix d’honneur, car le mot honneur n’est plus français, et je me considère si bien comme n’en étant plus un, que je vais demander à Tourgueneff (dès que je pourrai lui écrire) ce qu’il faut faire pour devenir russe.

Ton oncle Achille Flaubert voulait se jeter par-dessus les ponts et Raoul-Duval a eu comme un accès de folie furieuse. Tu as eu beau lire des journaux et t’imaginer ce que pouvait être l’invasion, tu n’en as pas l’idée. Les âmes fières sont blessées à mort et, comme Rachel, « ne veulent pas être consolées ».

Depuis dimanche matin nous n’avons plus de Prussiens à Croisset (mais il en revient beaucoup à Rouen). Dès que tout sera un peu nettoyé, j’irai revoir cette pauvre maison, que je n’aime plus et où je tremble de rentrer, car je ne peux pas jeter à l’eau toutes les choses dont ces mes-