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DE GUSTAVE FLAUBERT.

grand’mère n’est pas isolée. On vient lui faire des visites ; mais comme elle est triste ! Tu la retrouveras bien changée ! Elle ne peut plus marcher dans sa chambre qu’en se tenant aux meubles. Ton absence prolongée la tue. Elle croit qu’elle ne te reverra pas et t’appelle, la nuit, en pleurant. Mme Achille a trouvé bon de lui dire qu’il y avait beaucoup de petite vérole à Londres et elle te voit défigurée. Rassure-la à ce sujet.

Je crois que les Prussiens ne vont pas tarder à prendre le Havre. Alors la Normandie sera peut-être libre et tu pourrais revenir. Lapierre et Raoul-Duval sont, la semaine dernière, revenus très facilement de Londres à Rouen. Un chemin de fer existe de Boulogne à Saint-Valéry-sur-Somme. Là, une diligence fait le service jusqu’à Dieppe. Ton mari pourrait bien aller te chercher jusqu’à Saint-Valéry (15 lieues, pas plus) ou même jusqu’à Boulogne. Je crois que ses craintes sont exagérées sur les dangers que tu peux courir (il ne m’a pas l’air de se soucier que tu reviennes). Mais ici tout le monde pense le contraire. En tout cas, c’est une malheureuse idée que tu as eue de t’en aller ! Mais je m’applaudis bien de n’avoir pas emmené ta grand’mère à Trouville. Elle y serait morte de froid, d’isolement et d’inquiétude, car le bruit a couru que ton oncle Achille était tué, lorsque les voyous de Rouen ont tiré des coups de fusil contre le Conseil municipal. Nous attendons maintenant les troupes de Mecklembourg qui remplaceront celles de Manteuffel. Les hommes qui occupent Croisset vont être remplacés par d’autres, qui seront peut-être pires, car ils n’ont commis jusqu’à présent aucun dégât et ils ont