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DE GUSTAVE FLAUBERT.

furieuses, les choses changeraient peut-être ; mais je n’ose plus espérer.

Adieu, ma pauvre fille. Quand nous reverrons-nous ? Comme je m’ennuie de toi !


1141. À GEORGE SAND.
[Croisset.] Dimanche soir [30 octobre 1870].

Je vis encore, chère maître, mais je n’en vaux guère mieux, tant je suis triste ! Si je ne vous ai pas écrit plus tôt, c’est que j’attendais de vos nouvelles. Je ne savais pas où vous étiez.

Voilà six semaines que nous attendons de jour en jour la visite des Prussiens. On tend l’oreille, croyant entendre au loin le bruit du canon. Ils entourent la Seine-Inférieure dans un rayon de quatorze à vingt lieues. Ils sont même plus près, puisqu’ils occupent le Vexin, qu’ils ont complètement dévasté. Quelles horreurs ! C’est à rougir d’être homme.

Si nous avons un succès sur la Loire, leur apparition sera retardée. Mais l’aurons-nous ? Quand il me vient de l’espoir, je tâche de le repousser, et cependant, au fond de moi-même, en dépit de tout, je ne peux me défendre d’en garder un peu, un tout petit peu.

Je ne crois pas qu’il y ait en France un homme plus triste que moi. (Tout dépend de la sensibilité des gens.) Je meurs de chagrin, voilà le vrai, et les consolations m’irritent. Ce qui me navre, c’est : 1o  la férocité des hommes ; 2o  la conviction