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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Frankline[1]. Je t’engage à quitter ton logement afin d’en prendre un où il y ait une chambre à feu. Prends garde de devenir malade, ma pauvre Caro. Tu n’es pas trop robuste, et le climat de Londres est bien mauvais. Si tu te sentais souffrante, il faudrait revenir quand même. Il me semble que si tu étais avec nous, ici, j’aurais la moitié moins de tourment. Comme j’ai envie de t’embrasser ! Comme il y a longtemps que je n’ai vu ta bonne gentille mine !

Et je ne reverrai plus l’Horloger ! Il s’est réfugié dans son pays, en Basse-Normandie, où il va vivre de ses rentes ! Nous n’entendrons plus son rognonnement bi-mensuel. Va-t-il pouvoir causer du temps tout à son aise !

Nous n’avons eu mardi dernier que trois cents pauvres environ. Que sera-ce cet hiver ? Quelle abominable catastrophe ! et pourquoi ? dans quel but ? au profit de qui ? Quel sot et méchant animal que l’homme ! et comme c’est triste de vivre à des époques pareilles ! Nous passons par des situations que nous estimions impossibles, par des angoisses qu’on avait au IVe siècle, quand les Barbares descendaient en Italie. Il n’y a jamais eu, dans l’histoire de France, rien de plus tragique et de plus grand que le siège de Paris ! Ce mot-là seul donne le vertige, et comme ça fera rêver les générations futures ! N’importe ! en dépit de tout, j’ai encore de l’espoir. Voilà le mauvais temps.

  1. Frankline Grout, une de ses amies, qui épousa Auguste Sabatier, doyen de la Faculté de théologie protestante de Paris, mort en 1901. Frankline Grout-Sabatier devint plus tard la belle-sœur de Mme Commanville, celle-ci, devenue veuve, ayant épousé le docteur Franklin-Grout, médecin aliéniste, mort en juillet 1924.