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CORRESPONDANCE

poigne, ce sera pour moi un surcroît d’ennui. Nos parents s’en retournent demain vers leur patrie. Leur voyage va leur demander au moins trois jours. J’espère qu’il ne leur arrivera rien, car le centre de la France est libre. Ta grand’mère revient demain dans son gîte pour tout à fait.

Depuis l’arrivée de Gambetta à Tours, il me semble qu’il y a un peu plus d’ordre et de commandement. Que dis-tu de son voyage en ballon, au milieu des balles ? C’est coquet.

Bourbaki a dû passer à Rouen aujourd’hui. On dit que Palikao nous revient : il est capable de nous donner un bon coup d’épaule.

Quel pitoyable citoyen que le philosophe Baudry ! Il est revenu à Rouen, où je l’ai vu aujourd’hui. Tu ne le reconnaîtrais pas, tant il a maigri. Il crève de peur, c’est évident ! et il n’est pas le seul.

Quant à moi, depuis le commencement de la semaine, je travaille, et pas trop mal ! On se fait à tout, et puis je crois que j’ai parcouru le cercle, car j’ai failli ou devenir fou, ou mourir de chagrin et de rage.

La pluie qui n’arrête pas me comble de joie et me détend les nerfs. Je crois que nos ennemis commettent une faute grossière en incendiant les villages. Le paysan, qui est plat comme une punaise par amour de son bien, se transforme en bête féroce dès qu’il a perdu sa vache. Les cruautés inutiles amènent des représailles sourdes : les francs-tireurs leur tuent beaucoup de monde. Ah ! si nous avions : 1o de l’artillerie et 2o un vrai chef !

C’est bien heureux pour toi d’avoir rencontré