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DE GUSTAVE FLAUBERT.

1128. À ERNEST FEYDEAU.
Jeudi soir, 11 heures [22 septembre 1870].
Mon cher Bonhomme,

Tu recevras par le même courrier cent francs que je t’envoie dans une lettre chargée. Il m’en reste cent, sur lesquels je prélèverai demain 50 francs pour m’acheter un revolver. Après quoi, à la grâce de Dieu !

Avant d’avoir la visite des Prussiens, nous avons celle des pauvres, par bandes de 10 à 30 hommes, qui se renouvellent toute la journée.

Ton ami n’est pas disposé à la douceur. Après avoir failli devenir fou, je suis devenu enragé, et quoi qu’il advienne je demeurerai idiot. On ne reçoit pas impunément de pareilles averses sur la cervelle. N’importe, ça va mieux. Je suis présentement remonté. Tout n’est pas fini et la fortune est changeante. Paris sera peut-être brûlé, mais les Prussiens y seront écharpés et en grand nombre.

Nous avons ce soir des nouvelles tellement bonnes que je ne veux pas y croire. Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’armée de la Loire n’est pas une blague. Il a passé à Rouen, depuis deux jours, 50 000 hommes. La garde nationale de Rouen part samedi prochain pour X… (Vernon).

Je suis submergé par une mélancolie noire. Quel avenir ! quelle immense bêtise ! quelle dérision ! Ô le Progrès ! Et on nous accusait d’être pessimistes !