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DE GUSTAVE FLAUBERT.

devenir fou. Ce qui me ronge, c’est l’oisiveté, et les doléances ! et les bavardages ! Mais pour le moment, je suis remonté.

Ta grand’mère va bien. Nous avons eu, aujourd’hui, la visite de Mme Brainne et de Mme Lapierre ; dimanche dernier, celle de Raoul-Duval avec Mme Perrot (la mère de Janvier), Mme Lepic (sa fille), et la femme d’un colonel, Mme de Gantès. Celle-là était dans un joli état ! Elle a parcouru le champ de bataille de Sedan, pour découvrir son mari parmi les cadavres ; elle ne l’a pas trouvé. Je crois qu’elle mangerait Badinguet et de Failly avec délices !

Lundi, j’ai été déjeuner à Hautot, chez le philosophe Bataille ! Quel heureux tempérament d’homme ! Ta seconde lettre (celle d’aujourd’hui) est moins triste que la première ; mais j’ai peur que tu ne t’ennuies beaucoup à Londres[1], dont le climat, d’ailleurs, n’est pas sain. J’y ai toujours été malade. C’est une ville qui me fait peur : et puis, je doute que la nourriture te soit bonne : pas de pot-au-feu ! ni mille petites choses auxquelles nous sommes habitués. Les bonnes dames chez lesquelles tu manges n’ont pas ton ordinaire, mon bibi. Enfin, je tremble que tu ne tombes malade à Londres. Je crois que tu ferais mieux, dans quelques jours, d’aller habiter Brighton ; tu louerais un petit appartement, et Marguerite te ferait la cuisine. Il est peu probable que les Prussiens viennent à Dieppe. On ne croit même pas qu’ils viennent à Rouen : c’est trop loin de

  1. Mme Commanville s’était réfugiée à Londres, dans la famille de son ancienne institutrice, Mlle Farnier, avec sa femme de chambre Marguerite.