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CORRESPONDANCE

Je meurs de chagrin. Quelle maison que la mienne ! Quatorze personnes qui gémissent et vous énervent. Je maudis les femmes, c’est par elles que nous périssons.

Je m’attends à ce que Paris va avoir le sort de Varsovie, et vous m’affligez, vous, avec votre enthousiasme pour la République. Au moment où nous sommes vaincus par le positivisme le plus net, comment pouvez-vous croire encore à des fantômes ? Quoi qu’il advienne, les gens qui sont maintenant au pouvoir seront sacrifiés, et la République suivra leur sort. Notez que je la défends, cette pauvre République ; mais je n’y crois pas.

Voilà tout ce que j’ai à vous dire maintenant. J’aurais bien d’autres choses, mais je n’ai pas la tête libre. Ce sont comme des cataractes, des fleuves, des océans de tristesse qui déferlent sur moi. Il n’est pas possible de souffrir davantage. Par moments, j’ai peur de devenir fou. La figure de ma mère, quand je tourne les yeux sur elle, m’ôte toute énergie.

Voilà où nous a amenés la rage de ne pas vouloir voir la Vérité ! L’amour du factice et de la blague ! Nous allons devenir une Pologne, puis une Espagne. Puis ce sera le tour de la Prusse, qui sera mangée par la Russie.

Quant à moi, je me regarde comme un homme fini. Ma cervelle ne se rétablira pas. On ne peut plus écrire quand on ne s’estime plus. Je ne demande plus qu’une chose, c’est à crever pour être tranquille.