Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 6.djvu/149

Cette page a été validée par deux contributeurs.
143
DE GUSTAVE FLAUBERT.

1120. À SA NIÈCE CAROLINE.
Vendredi soir, minuit [26 août 1870].
Mon pauvre Caro,

Sais-tu ce qui rendait ta grand’mére si triste ? Depuis huit mois, elle croyait avoir un cancer au sein ! Et elle a été, avant-hier, consulter ton oncle Achille qui l’a examinée et absolument rassurée, car elle n’a pas plus de cancer que moi ; aussi est-elle maintenant tout autre d’humeur et d’esprit.

Elle est même assez raisonnable pour être résignée d’avance à mon départ : car, si le siège de Paris a lieu (ce que je crois maintenant), je suis très résolu à ficher mon camp avec le fusil sur le dos. Cette idée-là me donne presque de la gaieté. Mieux vaut se battre que de se ronger d’ennui comme je fais.

J’ai mené avant-hier ta grand’mère chez Colignon[1]. Nous y retournerons demain. Elle ne t’a pas écrit aujourd’hui parce qu’elle a eu la visite de Mme X*** (qui pourrait bien être un espion de la Prusse !) et de la petite mère Fortin laquelle viendra habiter avec ta bonne maman si son mari part avec moi, — et si je pars, il partira.

Je travaille, mais si mal que je n’avance à rien.

Comme c’est drôle de n’avoir pas de nouvelles du théâtre de la guerre depuis huit jours ! On ne sait pas même où est ce théâtre.

On a amené ce soir à Rouen 400 blessés.

  1. Un dentiste.