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DE GUSTAVE FLAUBERT.

papiers de mon pauvre Bouilhet, dont j’ai commencé la notice. J’ai écrit cette semaine près de six pages, ce qui pour moi est bien beau ; ce travail m’est très pénible de toute façon. Le difficile, c’est de savoir quoi ne pas dire. Je me soulagerai un peu en dégoisant deux ou trois opinions dogmatiques sur l’art d’écrire. Ce sera l’occasion d’exprimer ce que je pense : chose douce et dont je me suis toujours privé.

Vous me dites des choses bien belles et bien bonnes aussi pour me redonner du courage. Je n’en ai guère, mais je fais comme si j’en avais, ce qui revient peut-être au même.

Je ne sens plus le besoin d’écrire, parce que j’écrivais spécialement pour un seul être qui n’est plus. Voilà le vrai ! et cependant je continuerai à écrire. Mais le goût n’y est plus, l’entraînement est parti. Il y a si peu de gens qui aiment ce que j’aime, qui s’inquiètent de ce qui me préoccupe ! Connaissez-vous dans ce Paris, qui est si grand, une seule maison où l’on parle de littérature ? Et quand elle se trouve abordée incidemment, c’est toujours par ses côtés subalternes et extérieurs, la question de succès, de moralité, d’utilité, d’à-propos, etc. Il me semble que je deviens un fossile, un être sans rapport avec la création environnante.

Je ne demanderais pas mieux que de me rejeter sur une affection nouvelle. Mais comment ? Presque tous mes vieux amis sont mariés, officiels, pensent à leur petit commerce tout le long de l’année, à la chasse pendant les vacances et au whist après leur dîner. Je n’en connais pas un seul qui soit capable de passer avec moi un après-midi à lire