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DE GUSTAVE FLAUBERT.

qui me déplaît profondément, comme tous les journaux, d’ailleurs. Je hais cette petite manière de publier sa pensée et je témoigne ma haine par une abstention complète, en dépit de l’argent que je pourrais gagner.

La Presse n’est dangereuse que par l’importance exagérée qu’on lui donne ; amis et ennemis sont là-dessus d’accord, malheureusement ! Ah ! si on laissait faire le sceptique !

J’en reviens à Sainte-Beuve ; son plus grand tort, selon moi, est de faire quelque chose qui vous déplaise et, du moment que vous le priez de ne pas écrire dans ce journal, il aurait dû vous complaire[1]. Telles sont mes opinions politiques.

Je comprends du reste parfaitement sa fureur, si on lui a refusé un article. Il faut être homme de lettres pour savoir combien ces choses-là vous blessent. J’ai intenté un procès à la Revue de Paris qui s’était permis de me retrancher trois ou quatre lignes[2] ; ma maxime est qu’on doit se montrer, là-dessus, intraitable.

Donc j’excuse sa rancune. Mais ce que je n’excuserais pas, ce serait une rupture avec un gouvernement qui l’a comblé.

Cela n’est pas possible ! et malgré tout ce que vous me dites, je doute encore.

Je relis votre lettre en vous écrivant et je suis navré, à en avoir les larmes aux yeux, car il me semble que cette affaire vous a blessée au cœur,

  1. Sainte-Beuve, indigné contre le Moniteur universel qui lui avait refusé un article, était entré au Temps, malgré les prières de la Princesse Mathilde de n’en rien faire. Voir ci-dessous lettre à George Sand du 2 février 1869.
  2. Voir Madame Bovary, éd. Conard, page 507 et suiv.