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DE GUSTAVE FLAUBERT.

il se peut très bien que j’aie échoué. Cependant, d’après toutes les vraisemblances et mes impressions, à moi, je crois avoir fait quelque chose qui ressemble à Carthage. Mais là n’est pas la question. Je me moque de l’archéologie ! Si la couleur n’est pas une, si les détails détonnent, si les mœurs ne dérivent pas de la religion et les faits des passions, si les caractères ne sont pas suivis, si les costumes ne sont pas appropriés aux usages et les architectures au climat, s’il n’y a pas, en un mot, harmonie, je suis dans le faux. Sinon, non. Tout se tient.

Mais le milieu vous agace ! Je le sais, ou plutôt je le sens. Au lieu de rester à votre point de vue personnel, votre point de vue de lettré, de moderne, de Parisien, pourquoi n’êtes-vous pas venu de mon côté ? L’âme humaine n’est point partout la même, bien qu’en dise M. Levallois[1]. La moindre vue sur le monde est là pour prouver le contraire. Je crois même avoir été moins dur pour l’humanité dans Salammbô que dans Madame Bovary. La curiosité, l’amour qui m’a poussé vers des religions et des peuples disparus, a quelque chose de moral en soi et de sympathique, il me semble.

Quant au style, j’ai moins sacrifié dans ce livre-là que dans l’autre à la rondeur de la phrase et à la période. Les métaphores y sont rares et les épithètes positives. Si je mets bleues après pierres, c’est que bleues est le mot juste, croyez-moi, et soyez également persuadé que l’on distingue très bien la

  1. Voir opinion nationale, 14 décembre 1862, article sur Salammbô.