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CORRESPONDANCE

Prince, chez la Tourbey. Le public est très froid aux Idées de Madame Aubray. Il y a tous les soirs quelques sifflets. Quant au succès d’argent, il est énorme. Je n’ai pas été à l’Exposition et n’irai pas d’ici à longtemps. Voilà toutes les nouvelles.

Ce que je blâme dans Un Duel de salon, c’est le fond de l’histoire. Cette invention d’un ancien forçat déguisé en grand seigneur et captant le cœur d’une riche veuve me semble manquer de vérité et de nouveauté. Le style, la psychologie, les descriptions, en un mot la forme entière du livre dépasse de beaucoup la fable. Et j’ai été tout désillusionné en arrivant au secret de la comédie. Une fois cette réserve faite, je trouve l’œuvre pleine de qualités très remarquables. Telle est mon opinion sincère. J’ai été surtout frappé de la nouveauté et [de] la justesse de certaines comparaisons. Comment peut-on, avec tant d’esprit, tomber dans la rengaine du forçat en gants blancs ! Ce qui n’empêche pas le livre d’être amusant et de pouvoir être présenté bravement à un journal. Mme Régnier veut-elle que je tente l’épreuve au grand ou au petit Moniteur ? Je suis à ses ordres. Quant à réussir, je ne promets rien. Mais je ferai la réclame très chaudement et très sincèrement.

Quant aux critiques de détail, je reproche au commencement d’avoir trop de dialogues. (Tu sais du reste la haine que j’ai du dialogue dans les romans. Je trouve qu’il doit être caractéristique.) Je me permettrai également de blâmer un certain nombre d’expressions toutes faites, telles que, dans la première page : « se mettant de la partie, lui donna gain de cause. » Puis, à côté de cela, des choses ravissantes : « Une de ces mains expressives