Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 5.djvu/234

Cette page a été validée par deux contributeurs.
228
CORRESPONDANCE

dire son avis sur les choses de ce monde. Il doit, dans sa création, imiter Dieu dans la sienne, c’est-à-dire faire et se taire. La fin de ce livre (Clémenceau) me semble radicalement fausse ; un homme ne tue pas une femme après ; on éprouve alors une détente générale contraire à toute énergie. Cela est une grande bévue physiologique et psychologique.

Ce que j’ai trouvé de mieux, ce sont les lettres de la jeune femme.

Je ne peux rien vous dire du Dernier amour (dont la dédicace, par parenthèse, me vaut les plus aimables plaisanteries), par l’excellente raison que je n’en ai pas lu une ligne ; j’attends que tout soit fini et en volume.

Mais j’ai assisté à la première des Don Juan de village. La chute a été complète, bien que douce. Le public m’échappe de plus en plus ; je n’y comprends goutte. Pourquoi hurlait-on d’enthousiasme au Marquis de Villemer et baîllait-on d’ennui aux Don Juan ? Tout cela me semble, à moi, absolument de même calibre.

Eh bien, et vous ? et vos travaux ?

Je n’aurai pas fini le mien avant trois ans ! et il sera médiocre, la conception étant mauvaise. Je prendrai ma revanche dans un autre, ou je n’aurai plus de bourgeois, car le cœur m’en lève de dégoût.

Je vous baise sur les deux côtés de votre joli col, aussi longuement que vous le permettrez, et suis vôtre.