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DE GUSTAVE FLAUBERT.

vos habitudes qui sont mortelles. Ne soyez pas complaisante pour vos douleurs.

Vous goûtez trop, comme dirait Montaigne, cette délicatesse qui est au giron de la mélancolie.

Vous vous étonnez du fanatisme et de l’imbécillité qui vous entourent. Que l’on en soit blessé, je le comprends ; mais surpris, non ! Il y a un fond de bêtise dans l’humanité qui est aussi éternel que l’humanité elle-même. L’instruction du peuple et la moralité des classes pauvres sont, je crois, des choses de l’avenir. Mais quant à l’intelligence des masses, voilà ce que je nie, quoi qu’il puisse advenir, parce qu’elles seront toujours des masses.

Ce qu’il y a de considérable dans l’histoire, c’est un petit troupeau d’hommes (trois ou quatre cents par siècle, peut-être) et qui depuis Platon jusqu’à nos jours n’a pas varié ; ce sont ceux-là qui ont tout fait et qui sont la conscience du monde. Quant aux parties basses du corps social, vous ne les élèverez jamais. Quand le peuple ne croira plus à l’Immaculée Conception, il croira aux tables tournantes. Il faut se consoler de cela et vivre dans une tour d’ivoire. Ce n’est pas gai, je le sais ; mais, avec cette méthode, on n’est ni dupe ni charlatan.

Je m’en vais demain à Paris où je compte rester jusqu’à la fin du mois. Si vous pensez à moi, écrivez-moi donc boulevard du Temple, 42.

J’ai beaucoup travaillé cet hiver ; j’ai fini la première partie de mon roman. Quand la totalité sera-t-elle finie ? Voilà ce que j’ignore.

Mille bons souvenirs de votre tout dévoué.