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DE GUSTAVE FLAUBERT.

faibli. J’aime autant les petites pièces que les grandes. Est-ce une vanité ? Mais je crois comprendre tout le mérite du Voyageur et de Blaise et Rose. Il faut être fort comme un Cabire pour avoir de ces légèretés-là. Vous m’avez fait rêver délicieusement avec l’Égoïste et la Chine. Le Géant m’a « transporté d’enthousiasme ». L’expression, quoique banale, n’est pas trop forte ; je la maintiens.

Les œuvres d’art qui me plaisent par-dessus toutes les autres sont celles où l’art excède. J’aime dans la peinture, la Peinture ; dans les vers, le Vers. Or, s’il fut un artiste au monde, c’est vous. Tour à tour, vous êtes abondant comme une cataracte et vif comme un oiseau. Les phrases découlent de votre sujet naturellement et sans que jamais on voie le dessous. Cela étincelle et chante, reluit, bruit et résiste.

Combien n’avez-vous pas de ces vers tout d’une pièce, de ces vers où l’idée se trouve si bien prise dans la forme qu’elle en demeure inséparable :

Sa toque de velours descendait jusqu’aux yeux…
Qui tombait sur la main et jusqu’au bout des doigts…

Je ne cite que ces deux-là, pris au hasard, pour vous montrer ce que je veux dire.

Je vous aime encore parce que vous n’appartenez à aucune boutique, à aucune église, parce qu’il n’est question, dans votre volume, ni du problème social, ni des bases, etc.

Et je serre cordialement et respectueusement la main qui écrit de pareilles choses, en me disant, monsieur, votre tout dévoué.