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CORRESPONDANCE

Nuits passées à regarder la lune, projets d’enlèvement et de voyages en Italie, rêves de gloire pour elle, tortures du corps et de l’âme, spasmes à l’odeur d’une épaule, et pâleurs subites sous un regard, j’ai connu tout cela, et très bien connu. Chacun de nous a dans le cœur une chambre royale ; je l’ai murée, mais elle n’est pas détruite.

On a parlé à satiété de la prostitution des femmes, on n’a pas dit un mot sur celle des hommes. J’ai connu le supplice des filles de joie, et tout homme qui a aimé longtemps et qui voulait ne plus aimer l’a connu, etc.

Et puis, il arrive un âge où l’on a peur, peur de tout, d’une liaison, d’une entrave, d’un dérangement ; on a tout à la fois soif et épouvante du bonheur. Est-ce vrai ?

Il serait pourtant si facile de passer la vie d’une manière tolérable ! Mais on cherche les sentiments tranchés, excessifs, exclusifs, tandis que le complexe, le grisâtre est seul praticable. Nos grands-pères, et surtout nos grand’mères, avaient plus de sens que nous, n’est-ce pas ?

Il me semble que notre petite dissension nous a faits encore meilleurs amis qu’auparavant. Est-ce une illusion ? non ! vous avez compris que j’étais plus sérieux que je n’en ai l’air, et je vous ai trouvée très bonne. Aussi je vous serre les mains très longuement.

À vous.

Parlez-moi de vous quand vous n’aurez rien de mieux à faire. Travaillez le plus possible, c’est encore le meilleur ! La morale de Candide « il faut