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DE GUSTAVE FLAUBERT.

et profonde du mot ; c’est plutôt le souvenir (et encore maintenant la sensation) d’une irritation très longue. Son livre[1] a été le bouquet final de la chose. Joignez à cela les commentaires, questions, plaisanteries, allusions, dont je suis l’objet depuis la publication de ladite œuvre. Quand j’ai vu que vous aussi, vous vous en mêliez, j’ai un peu perdu patience, je l’avoue, parce qu’en public je fais bonne figure, comprenez-vous ? N’allez pas croire que je vous en veuille, non, je vous embrasse très tendrement pour les gentilles choses que vous me dites. Voilà le vrai.

Pourquoi aussi plaisantiez-vous ? pourquoi faisiez-vous comme les autres, car on a sur moi une opinion toute faite et que rien ne déracinera (je ne cherche pas, il est vrai, à détromper le monde), à savoir : que je n’ai aucun espèce de sentiment, que je suis un farceur, un coureur de filles (une sorte de Paul de Kock romantique ?), quelque chose entre le Bohème et le Pédant ; quelques-uns prétendent même que j’ai l’air d’un ivrogne, etc., etc.

Je ne crois être, cependant, ni un hypocrite ni un poseur. N’importe ! on se méprend toujours sur moi. À qui la faute ? à moi sans doute ? Je suis plus élégiaque qu’on ne croit, mais je porte la pénitence de mes cinq pieds huit pouces et de ma figure rougeaude.

Je suis encore timide comme un adolescent et capable de conserver dans des tiroirs des bouquets fanés. J’ai, dans ma jeunesse, démesurément aimé, aimé sans retour, profondément, silencieusement.

  1. Lui.