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DE GUSTAVE FLAUBERT.

l’étaler sans cesse sous les yeux. Qu’est-ce que cela veut dire, égoïsme ? Je voudrais bien savoir si tu ne l’es pas non plus, toi (égoïste), et d’une belle manière encore ! Mais mon égoïsme à moi n’est même pas intelligent. De sorte que je suis non seulement un monstre, mais un imbécile ! Charmants propos d’amour ! Si depuis un an (un an, non ! six mois) le cercle de notre affection, comme tu l’observes, se rétrécit, à qui la faute ? Je n’ai changé envers toi ni de conduite ni de langage. Jamais (repasse dans ta mémoire mes autres voyages) je ne suis plus resté chez toi qu’à ces deux derniers. Autrefois, quand j’étais à Paris, j’allais encore dîner chez les autres de temps en temps. Mais, au mois de novembre, et il y a quinze jours, j’ai tout refusé pour être plus complètement ensemble et, dans toutes les courses que j’ai faites, il n’y en a pas eu une seule pour mon plaisir, etc.

Je crois que nous vieillissons, rancissons ; nous aigrissons et confondons mutuellement nos vinaigres ! Moi, quand je me sonde, voici ce que j’éprouve pour toi : un grand attrait physique d’abord, puis un attachement d’esprit, une affection virile et rassise, une estime émue. Je mets l’amour au-dessus de la vie possible et je n’en parle jamais à mon usage. Tu as bafoué devant moi, le dernier soir, et bafoué comme une bourgeoise, mon pauvre rêve de quinze ans en l’accusant encore une fois de n’être pas intelligent ! Ah ! j’en suis sûr, va ! N’as-tu donc jamais rien compris à tout ce que j’écris ? N’as-tu pas vu que toute l’ironie dont j’assaille le sentiment dans mes œuvres n’était qu’un cri de vaincu, à moins que ce ne soit un