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CORRESPONDANCE

commence mon cinquième chapitre ; le livre entier en aura quinze ; vous voyez où j’en suis ! Enfin (manquée ou réussie) ce sera, je l’espère, une tentative honorable. Tout est là : il faut faire ce qu’on juge bien dans la vie et ce qu’on croit beau dans l’Art.

Mais parlons de vous ! En relisant vos deux dernières lettres (celle du mois d’avril et celle du mois de mai), je suis désolé de vous voir si triste. Pourquoi vous obstinez-vous à vouloir vous confesser puisque cette idée seule vous trouble et que le confessionnal occasionne vos rechutes ? Soyez donc votre prêtre à vous-même. Devenez stoïque (ou plus chrétienne, si vous voulez) ; détachez-vous de l’idée de votre personne. Toutes les fois que l’on réfléchit sur soi-même, on se trouve malade ; cela est un axiome, soyez-en sûre ! Des gens qui commencent à étudier la médecine se découvrent toutes les infirmités, et quand on s’inquiète du bonheur pur, de son âme, de son corps, de sa vie ou de son salut, comme l’infini est au bout de tout cela, on devient fou. J’y ai passé et j’en puis dire quelque chose.

Oui ! venez à Paris — quand même — et tout de suite ! Il vous faut sortir, voir du monde et des tableaux, entendre de la musique et du bruit. Vous menez une existence détestable, au milieu de souvenirs amers et dans un centre qui vous étouffe. La tristesse de tous vos jours vécus retombe de votre plafond, comme un brouillard ; votre cœur en est noyé !

Mais vous ne voulez pas guérir ! Vous vous inquiétez d’avance de mille petits détails secondaires. Comment me loger ? comment me nourrir ? que