Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 4.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
DE GUSTAVE FLAUBERT.

tenant que le samedi est ton jour de rédaction et que tu n’as pas eu sans doute le temps de m’écrire. À propos de ton journal, sais-tu ce que j’ai lu ce matin, à mon réveil, dans le Journal de Rouen ? Ton article de dimanche dernier. On m’apporte ladite feuille, pliée de telle façon que la première chose qui frappe ma vue est le nom de ce « bon Léonard[1] ». Je jette les yeux sur le reste et je reconnais la chose. Tout y est, depuis Mme Récamier jusqu’aux fleurs d’eau, froides au toucher comme les nénufars. Est-ce singulier ? Et combien les braves rédacteurs du Journal de Rouen, pillant de droite et de gauche, se doutent peu qu’ils m’envoient mes phrases ! Cela m’a fait repasser devant moi tout dimanche dernier. Je me sentais encore écrivant au coin de ton feu, gêné par mon pantalon, par mon rhume et mon habit, tout en devisant avec cette estimable Lageolais, qui a dé-

  1. L’article auquel Flaubert fait allusion a paru dans le Journal de Rouen du 19 février 1854, en fin de feuilleton, à la suite d’un compte rendu théâtral. Il est intitulé « Modes de Paris » et n’est pas signé. Il contient le récit d’un bal d’enfants donné autrefois par Mme Récamier à l’Abbaye-au-Bois, et auquel assistaient Chateaubriand, le duc de Broglie, Guizot, les enfants de Victor Hugo, de Marceline Desbordes-Valmore, etc. « Léonard » était un tapissier en renom établi dans l’immeuble même qu’occupait jadis Mme Récamier, rue de Sèvres ; l’article fait à Léonard une obligeante réclame. Or Louise Colet habitait alors 20, rue de Sėvres, presque en face de l’Abbaye-au-Bois et elle avait été reçue jadis chez Mme Récamier ; elle était bien placée par conséquent pour évoquer le souvenir de celle-ci et les locataires actuels de sa maison. La dernière allusion faite par Flaubert aux « fleurs d’eau » se réfère à ce passage du Journal de Rouen : « D’autres coiffures de bal… sont formées d’un feuillage emprunté à diverses plantes aquatiques… Elles imitent si parfaitement la nature qu’on dirait qu’elles sont froides au toucher comme le nénuphar qui flotte sur nos lacs, » [Note de René Descharmes (édition Santandréa).]