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CORRESPONDANCE

On sent cela quand on va se mettre en voyage surtout !

Voilà la quatrième fois que je vais me retrouver à Marseille et, cette fois-ci, je serai seul, absolument seul. Le cercle s’est rétréci. Les réflexions que je faisais en 1849, lorsque je me suis embarqué pour l’Égypte, je vais les refaire dans quelques jours en foulant les mêmes pavés. Notre vie tourne ainsi continuellement dans la même série de misères, comme un écureuil dans une cage, et nous haletons à chaque degré.

N’importe ; il ne faut pas rétrécir sa vie, ni son cœur non plus. Acceptons tout ! Absorbons tout !

Ce que vous me dites de vos sensations en revenant du théâtre, la nuit, dans les rues de votre ville, m’a pénétré comme une pluie fine. Je crois vous comprendre, chère âme endolorie ! Et il me semble que si je vivais avec vous je vous guérirais. C’est sans doute de l’amour-propre, mais je sens que je vous serais utile.

Quant à vous trouver dans un journal un travail régulier, c’est impossible, par la raison qu’ils n’en publient aucun. Si vous saviez les masses d’articles enfouis dans les cartons et qu’on ne lit même pas ! Tout, hélas ! se fait comme des bottes, sur commande ! Il y a seulement, dans les journaux prétendus sérieux, un homme qui fait à la brassée et tant bien que mal la critique des livres : 1o pour les éreinter si les susdits ouvrages sont antipathiques au journal ou à quelqu’un des rédacteurs ; et 2o pour les pousser, toujours sur la recommandation de quelqu’un. Voilà la règle, le reste est l’exception. Restent les traductions et la cuisine des nouvelles et des réclames.