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CORRESPONDANCE

que je ne m’en hâterai pas d’une minute de plus.

Apprends que ton ami Napoléon Gallet a été décoré par Sa Majesté comme chef du conseil des Prud’hommes. De plus, d’autres filateurs et industriels sont mêmement décorés de l’étoile des braves.

J’ai eu, avant-hier, un spectacle triste. Ayant une grande demi-heure à perdre avant de pouvoir entrer à la bibliothèque, j’ai été faire une visite au collège, où l’on distribuait les prix. Quelle décadence ! Quels pauvres petits bougres ! Plus d’enthousiasme, plus de gueulades ! Rien ! rien ! On a complètement séparé la cour des Grands de la cour des Moyens, mesure de police qui m’a révolté, et on a retiré, dans la cour des Grands, devine quoi ? devine qui ?… Les lieux ! Oui ! ces braves latrines où l’urine, par flaques énormes, aurait pu noyer le cheval de Préault « nourri cependant des marais de la Gaule », ces pauvres lieux où l’on fumait des cigarettes de maryland, roulées si poétiquement avec des doigts abîmés d’engelures ! Et à la place, à la sacro-sainte place où ils étaient, se tenaient assises sur deux chaises deux piètres bonnes sœurs qui quêtaient pour les pauvres. Et la tente, une manière de tente algérienne, avec des escalopures arabes, chic Alhambra !… J’étais indigné ! — Voix du père Horie, où es-tu, me disais-je, où es-tu ?… en entendant à peine le grêle organe d’un maigre pion qui lisait le palmarès. Et les mômes arrivaient sur l’estrade, tout doucettement, au petit pas, comme des jeunes personnes dans un boarding-school, et faisaient la révérence. Ah ! tout y manquait, depuis la trogne du père Daignez jusqu’au non-nez de Bastide, le