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DE GUSTAVE FLAUBERT.

J’ai assisté, en spectateur, à presque toutes les émeutes de mon temps.

Vous voyez bien que je suis plus vieux que vous — par l’âme — et que malgré vos vingt ans de plus, vous êtes ma cadette.

Mais il m’est resté de ce que j’ai vu — senti — et lu, une inextinguible soif de vérité. Goethe s’écriait en mourant : « De la lumière ! de la lumière ! » Oh ! oui, de la lumière ! dût-elle nous brûler jusqu’aux entrailles. C’est une grande volupté que d’apprendre, que de s’assimiler le Vrai par l’intermédiaire du Beau. L’état idéal résultant de cette joie me semble une espèce de sainteté, qui est peut-être plus haute que l’autre, parce qu’elle est plus désintéressée.

J’arrive à vous — et à l’étrange obsession sur laquelle vous me consultez[1]. Voici ce que j’ai pensé : il faut tâcher d’être plus catholique ou plus philosophe. Vous avez trop de lecture pour croire sincèrement. Ne vous récriez point ! vous

  1. Mlle de Chantepie avait écrit : « J’ai été élevée dans le catholicisme que j’ai continué à suivre ; la confession est obligatoire dans cette religion. Eh bien, il m’est devenu impossible d’accomplir ce devoir. Il me semble que non seulement je ressens toutes les douleurs de l’humanité, mais encore je crois être chargée de toutes ses fautes. Lorsque je me confesse, il me vient à la pensée les fautes les plus impossibles, les plus étranges, les plus ridicules ; je n’y crois pas d’abord, je doute ensuite, et puis je me persuade que j’en suis coupable. Ce que souffre est atroce alors. Je me dis que ne pouvant remplir un devoir imposé, celui de la confession qui me devient impossible, je suis un être perdu, sans Dieu, sans espoir, que personne ne doit m’aimer, que je ne dois aimer personne, puisque même le souvenir que je laisserai après ma mort ne s’adressera qu’à un être perdu… » — Cette citation explique le curieux cas de conscience de Mlle de Chantepie, et par la même les lettres de Flaubert, qui revient souvent sur ce sujet. (Note de M. René Descharmes, édition Santandréa.) Flaubert et Mlle de Chantepie ne se connurent jamais qu’épistolairement.