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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Paris qui ne m’ait lu et qui ne me défende, tous s’abritent derrière moi, ils sentent que ma cause est la leur.

La police s’est méprise ; elle croyait s’en prendre au premier roman venu et à un petit grimaud littéraire ; or, il se trouve que mon roman passe maintenant (et en partie grâce à la persécution) pour un chef-d’œuvre ; quant à l’auteur, il a pour défenseurs pas mal de ce qu’on appelait autrefois des grandes dames, l’Impératrice (entre autres) a parlé pour moi deux fois ; l’Empereur avait dit une première fois : « Qu’on me laisse tranquille ! », et, malgré tout cela, on est revenu à la charge. Pourquoi ? ici commence le mystère.

Je prépare, en attendant, mon mémoire, qui n’est autre que mon roman ; mais je fourrerai sur les marges, en regard des pages incriminées, des citations embêtantes, tirées des classiques, afin de démontrer par ce simple rapprochement que, depuis trois siècles, il n’est pas une ligne de la littérature française qui ne soit aussi attentatoire aux bonnes mœurs et à la religion. Ne crains rien, je serai calme. Quant à ne pas comparaître à l’audience, ce serait une reculade ; je n’y dirai rien, mais je serai assis à côté du père Sénard, qui aura besoin de moi. Et puis, je ne puis me dispenser de montrer ma boule de criminel aux populations.

Je vous remercie, toi et Pottier[1], de votre future visite, et je l’accepte ; je vous invite à dîner dans les puits de Venise.

J’achèterai une botte de paille et des chaînes et

  1. Conservateur de la Bibliothèque de Rouen.