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CORRESPONDANCE

littératures, celle que j’appellerais la nationale (et la meilleure) ; puis la lettrée, l’individuelle. Pour la réalisation de la première, il faut dans la masse un fonds d’idées communes, une solidarité (qui n’existe pas), un lien ; et pour l’entière expansion de l’autre, il faut la liberté. Mais quoi dire, et sur quoi parler maintenant ? Cela ira en empirant ; je le souhaite et je l’espère. J’aime mieux le néant que le mal, et la poussière que la pourriture. Et puis l’on se relèvera ! l’aurore reviendra ! Nous n’y serons plus ! Qu’importe ?

Je suis navré de ce que tu me dis de ce pauvre et excellent Delisle ! Personne ne plaint plus que moi la gêne (il faudrait écrire gehenne) matérielle, et devant ces misères j’ai l’air d’une canaille, moi qui suis à me chauffer devant un bon feu, le ventre plein et dans une robe de soie ! Mais je ne suis pas riche. Oh si je l’étais, rien ne souffrirait autour de moi. J’aime que tout ce que je vois, tout ce qui m’entoure de près ou de loin, tout ce qui me touche enfin, soit bien et beau. Que n’ai-je cent mille francs de rentes ! Dans quel château nous vivrions tous ! J’ai tout juste ce qu’il faut pour vivre honorablement, comme dit le monde (qui n’est pas difficile en fait d’honneur). Enfin c’est déjà beaucoup ! Et je remercie le ciel, ou plutôt l’âge, de n’avoir plus les besoins de luxe que j’avais jadis. Mais je voudrais aider ceux que j’aime. Va, pauvre muse, si quelqu’un a désiré pour sa maîtresse de l’argent, c’est bien moi. Que ne puis-je en avoir pour Delisle aussi, et pour Bouilhet, pour lui faire imprimer son volume etc. Que puis-je faire pour Delisle ? Lui prendre de ses exemplaires ? Cela est impossible, il saura que