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DE GUSTAVE FLAUBERT.

me suis pas trompé. Mais elle a l’air de mener ça bien rondement, cavalièrement. Tant mieux ! Cette femme est rouée, elle connaît le monde ; elle pourra ouvrir à Bouilhet des horizons nouveaux… piètres horizons il est vrai ! Mais enfin ne faut-il pas connaître tous les appartements du cœur et du corps social, depuis la cave jusqu’au grenier, et même ne pas oublier les latrines, et surtout ne pas oublier les latrines ! Il s’y élabore une chimie merveilleuse, il s’y fait des décompositions fécondantes. Qui sait à quels sucs d’excréments nous devons le parfum des roses et la saveur des melons ? A-t-on compté tout ce qu’il faut de bassesses contemplées pour constituer une grandeur d’âme ? Tout ce qu’il faut avoir avalé de miasmes écœurants, subi de chagrins, enduré de supplices, pour écrire une bonne page ? Nous sommes cela, nous autres, des vidangeurs et des jardiniers. Nous tirons des putréfactions de l’humanité des délectations pour elle-même, nous faisons pousser des bannettes de fleurs sur des misères étalées. Le Fait se distille dans la Forme et monte en haut, comme un pur encens de l’Esprit vers l’éternel, l’Immuable, l’Absolu, l’Idéal.

J’ai bien vu le père Roger passer dans la rue avec sa redingote et son chien. Pauvre bonhomme !… Comme il se doute peu ! As-tu songé quelquefois à cette quantité de femmes qui ont des amants, à ces quantités d’hommes qui ont des maîtresses, à tous ces ménages sous les autres ménages ? Que de mensonges cela suppose ! Que de manœuvres et de trahisons, et de larmes et d’angoisses ! C’est de tout cela que ressort le