Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 3.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
401
DE GUSTAVE FLAUBERT.

des morceaux superbes, l’ensemble ne vaudra jamais l’autre (?) parce que la Paysanne a été imaginée, que c’est un sujet de toi, et en imaginant on reproduit la généralité, tandis qu’en s’attachant à un fait vrai, il ne sort de votre œuvre que quelque chose de contingent, de relatif, de restreint. Tu m’objectes n’avoir pas voulu faire de didactique. Qui te parle de didactique ? Si ! il fallait faire la Servante ! Maintenant, il est trop tard, et au reste peu importe. Une fois le titre mis de côté, ce sera une fort belle œuvre et émouvante. Mais élague tout ce qui n’est pas nécessaire à l’idée même de ton sujet. Ainsi, pourquoi ta grande artiste, à la fin, qui vient parler à Mariette ? À quoi bon ce personnage complètement inutile dans le drame, et fort incolore par lui-même ? Soigne les dialogues et évite surtout de dire vulgairement les choses vulgaires. Il faut que tous les vers soient des vers.

La continuité constitue le style, comme la constance fait la vertu. Pour remonter les courants, pour être bon nageur, il faut que, de l’occiput jusqu’au talon, le corps soit couché sur la même ligne. On se ramasse comme un crapaud et l’on se déploie sur toute la surface, en mesure, de tous les membres, tête basse et serrant les dents. L’idée doit faire de même à travers les mots et ne point clapoter en tapant de droite et de gauche, ce qui n’avance à rien et fatigue. Mais comment pouvais-tu me juger assez borné pour méconnaître la valeur de ta Servante ?

Dis-moi donc, et n’oublie pas, si je n’ai point commis une grande sottise en décachetant le dernier paquet du Crocodile et en envoyant directement la lettre à Me B. C’était pour t’épargner