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DE GUSTAVE FLAUBERT.

choquée. Enfin, il sera fait selon ton désir. Je te promets, je te jure, que je lui exposerai tes raisons et que je la prierai de faire que vous vous voyiez. Quant au reste, avec la meilleure volonté du monde, je n’y peux rien. Peut-être vous conviendrez-vous beaucoup, peut-être vous déplairez-vous énormément. La bonne femme est peu liante et elle a cessé de voir non seulement toutes ses anciennes connaissances, mais ses amies même. Je ne lui en connais plus qu’une, et celle-là n’habite pas le pays.

Je viens de finir la Correspondance de Boileau. Il était moins étroit dans l’intimité qu’en Apollon. J’ai vu là bien des confidences qui corrigent ses jugements. Télémaque est assez durement jugé[1], etc., et il avoue que Malherbe n’était pas né poète. N’as-tu pas remarqué combien ça a peu de volée, les correspondances des bonshommes de cette époque-là ? On était terre à terre, en somme. Le lyrisme, en France, est une faculté toute nouvelle. Je crois que l’éducation des jésuites a fait un mal inconcevable aux lettres. Ils ont enlevé de l’Art la nature. Depuis la fin du XVIe siècle jusqu’à Hugo, tous les livres, quelque beaux qu’ils soient, sentent la poussière du collège. Je m’en vais relire ainsi tout mon français et préparer de longue main mon Histoire du sentiment poétique en France. Il faut faire de la critique comme on fait de l’histoire naturelle, avec absence d’idée morale. Il ne s’agit pas de déclamer sur telle ou telle forme, mais bien d’exposer en quoi elle consiste, comment elle se

  1. Dans sa lettre du 10 novembre 1699, Boileau écrit à Brossette : « Il y a de l’agrément dans ce livre (Télémaque) et une imitation de l’Odyssée que j’approuve fort. »