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DE GUSTAVE FLAUBERT.

soi on aperçoit les hommes, une brise olympienne emplit vos poumons géants, et l’on se considère comme un colosse ayant le monde entier pour piédestal. Puis, le brouillard retombe et l’on continue à tâtons, à tâtons, s’écorchant les ongles aux rochers et pleurant dans la solitude. N’importe ! Mourons dans la neige, périssons dans la blanche douleur de notre désir, au murmure des torrents de l’esprit, et la figure tournée vers le soleil !

J’ai travaillé ce soir avec émotion, mes bonnes sueurs sont revenues et j’ai regueulé, comme par le passé.

Oui, c’est beau Candide ! fort beau ! Quelle justesse ! Y a-t-il moyen d’être plus large, tout en restant aussi net ? Peut-être non. Le merveilleux effet de ce livre tient sans doute à la nature des idées qu’il exprime. C’est aussi bien cela (sic) que cela qu’il faut écrire, mais pas comme cela.

Pourquoi perds-tu ton temps à relire Graziella quand on a tant de choses à relire ? Voilà une distraction sans excuse, par exemple ! Il n’y a rien à prendre à de pareilles œuvres. Il faut s’en tenir aux sources, or Lamartine est un robinet. Ce qu’il y a de fort dans Manon Lescaut, c’est le souffle sentimental, la naïveté de la passion qui rend les deux héros si vrais, si sympathiques, si honorables, quoiqu’ils soient des fripons. C’est un grand cri du cœur, ce livre ; la composition en est fort habile. Quel ton d’excellente compagnie ! Mais moi, j’aime mieux les choses plus épicées, plus en relief, et je vois que tous les livres de premier ordre le sont à outrance. Ils sont criants de vérité, archidéveloppés et plus abondants de détails in-