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CORRESPONDANCE

car ordinairement on confond les deux) s’appuie sur un passage de l’historien Nymphis : « Sapho d’Eresos aima passionnément Phaon. » On remarque aussi que Hérodote, qui a écrit tout au long l’histoire de Sapho de Mitylène, ne parle ni de cet amour, ni de ce suicide.

Enfin me revoilà en train ! ça marche ! la machine retourne ! Ne blâme pas mes roidissements, bonne chère Muse, j’ai l’expérience qu’ils servent. Rien ne s’obtient qu’avec effort ; tout a son sacrifice. La perle est une maladie de l’huître et le style, peut-être, l’écoulement d’une douleur plus profonde. N’en est-il pas de la vie d’artiste, ou plutôt d’une œuvre d’art à accomplir, comme d’une grande montagne à escalader ? Dur voyage, et qui demande une volonté acharnée ! D’abord on aperçoit d’en bas une haute cime. Dans les cieux, elle est étincelante de pureté, elle est effrayante de hauteur, et elle vous sollicite cependant à cause de cela même. On part. Mais à chaque plateau de la route, le sommet grandit, l’horizon se recule, on va par les précipices, les vertiges et les découragements. Il fait froid et l’éternel ouragan des hautes régions vous enlève en passant jusqu’au dernier lambeau de votre vêtement. La terre est perdue pour toujours, et le but sans doute ne s’atteindra pas. C’est l’heure où l’on compte ses fatigues, où l’on regarde avec épouvante les gerçures de sa peau. L’on n’a rien qu’une indomptable envie de monter plus haut, d’en finir, de mourir. Quelquefois, pourtant, un coup des vents du ciel arrive et dévoile à votre éblouissement des perspectives innombrables, infinies, merveilleuses ! À vingt mille pieds sous