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CORRESPONDANCE

En voilà encore un de parti ! Ce pauvre père Parain, je le vois maintenant dans son suaire comme si j’avais le cercueil, où il pourrit, sur ma table, devant mes yeux. L’idée des asticots qui lui mangent les joues ne me quitte pas. Je lui avais fait du reste des adieux éternels, en le quittant la dernière fois. Quand je suis arrivé de Nogent chez toi, j’avais été seul tout le temps dans le wagon, par un beau soleil. Je revoyais en passant les villages que nous traversions autrefois en chaise de poste, aux vacances, tous en famille avec les autres, morts aussi. Les vignes étaient les mêmes et les maisons blanches, la longue route poudreuse, les ormes ébranchés sur le bord…

Cette promenade de Pontoise dont tu me parles, je la connais. Il me souvient d’y avoir vu la plus admirable petite fille du monde. Elle jouait avec sa bonne. Mon père l’a beaucoup examinée et a prédit qu’elle serait superbe. Qu’est-ce qu’elle est devenue ?… Comme tout cela est farce ! Bonne histoire, Madame la directrice de la poste t’appela[nt] Loïsa. Il y manque un y, et un K au Colet ! Ainsi écrit, « Loysa Kolet », ça ne manquerait pas de galbe.

J’ai lu, avant-hier, tout un volume du père Michelet, le sixième de sa Révolution, qui vient de paraître. Il y a des jets exquis, de grands mots, des choses justes ; presque toutes sont neuves. Mais point de plan, point d’art. Ce n’est pas clair, c’est encore moins calme, et le calme est le caractère de la beauté, comme la sérénité l’est de l’innocence, de la vertu. Le repos est attitude de Dieu. Quelle curieuse époque ! Quelle curieuse époque ! Comme le grotesque y est fondu au terrible ! Je le