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DE GUSTAVE FLAUBERT.

ses œuvres, ou de son œuvre la plus capitale, ce qui vaudrait mieux, et je tâcherai de te ravauder ce passage. Quant au Triomphe de la mort, je le crois une idée malencontreuse. Rien n’est moins esthétique en soi, et l’admiration pour l’artiste qui a fait cela ne doit venir qu’à un esprit dégagé de toute tradition religieuse et habitué à comparer des formes, abstraction faite du but où elles poussent ou veulent pousser. Et c’est parce que ces formes sont incorrectes qu’elles font tant d’effet. Elles poussent à l’épouvante de la mort et non à un sentiment d’admiration, ce que Michel-Ange procure à tout le monde à peu près ; ça c’est de l’Art pur.

Réfléchis à tout cela. Si tu trouves un autre joint, dis-le et renvoie les pages imprimées ci-incluses. Je suis bien fâché, chère Louise, de ne pouvoir te rendre de suite ce petit service, mais tu vois tous les empêchements. Rêves-y un peu, envoie-moi des notes, et je t’obéirai.

Voilà deux jours entiers passés avec mon frère et sa femme. Il a eu l’idée d’aller voir à une demi-lieue d’ici une fort belle habitation en vente. L’idée de l’acheter l’a pris, l’enthousiasme les a saisis, puis le désenthousiasme, puis le réenthousiasme, et les considérations, et les objections. De peur de se laisser gagner, il est parti ce matin en manquant le rendez-vous donné au vendeur. C’est moi qui y ai été à sa place. Je me suis couché à une heure et levé avant quatre. Que de verres de rhum j’ai bus depuis hier ! Et quelle étude que celle des bourgeois ! Ah ! voilà un fossile que je commence à bien connaître (le bourgeois) ! Quels demi-caractères ! Quelles demi-volontés ! Quelles demi-passions ! Comme tout est flottant, incertain, faible