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CORRESPONDANCE

Peut-être est-ce parce que je ne me suis pas encore trouvé suffisamment seul, ou bien parce que ton impression est encore trop forte ? Je suis plein de toi. Mon linge sent ton odeur. Le souvenir de ta personne demi-nue, un flambeau à la main et m’embrassant dans le corridor, m’a poursuivi hier toute la journée à travers mes autres souvenirs, qui s’envolaient de tous les buissons de la route, au balancement de la diligence. Au chemin de fer j’ai trouvé Bouilhet. Nous avons déjeuné et dîné seuls à Croisset. Nous nous sommes couchés de bonne heure ; je tombais de sommeil. Nous nous sommes quittés hier à 11 heures du matin. Qu’as-tu fait toute la journée pendant que je regardais les blés qu’on sciait, et la poussière et les arbres verts ? Comment s’est passée la journée du dimanche ? Je voudrais t’écrire une bonne et longue lettre, mais j’ai fort envie de dormir, quoiqu’il ne soit pas 10 heures. J’ai apporté ici quelques livres que je lirai peu, mes scénarios de la Bovary auxquels je travaillerai médiocrement. Je vais manger, fumer, bâiller au soleil, dormir surtout. J’ai parfois de grands besoins de sommeil pendant plusieurs jours, et j’aime mieux une jachère complète qu’un demi-labour.

Adieu, pauvre chère Muse, je pense beaucoup à toi et je t’embrasse. Mille baisers et tendresses.

Ton G.

Un de ces jours j’espère être plus prolixe. Ci-joint 100 francs.