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CORRESPONDANCE

mon pharmacien, qui rend compte de la fête en bon style philosophique, poétique et progressif. Tu vois que ce n’est pas une petite besogne. Je suis sûr de ma couleur et de bien des effets ; mais pour que tout cela ne soit pas trop long, c’est le diable ! Et cependant ce sont de ces choses qui doivent être abondantes et pleines. Une fois ce pas-là franchi, j’arriverai vite à ma baisade dans les bois par un temps d’automne (avec leurs chevaux à côté qui broutent les feuilles), et alors je crois que j’y verrai clair, et que j’aurai passé du moins Charybde, si Scylla me reste. Quand je serai revenu de Paris, j’irai à Trouville. Ma mère veut y aller et je la suis. Au fond je n’en suis pas fâché : voir un peu d’eau salée me fera [du] bien. Voilà deux ans que je n’ai pris l’air et vu la campagne (si ce n’est avec toi, lors de notre promenade à Vétheuil). Je m’étendrai avec plaisir sur le sable, comme jadis. Depuis sept ans je n’ai été dans ce pays. J’en ai des souvenirs profonds : quelles mélancolies et quelles rêveries, et quels verres de rhum ! Je n’emporterai pas la Bovary, mais j’y penserai ; je ruminerai ces deux longs passages, dont je te parle, sans écrire. Je ne perdrai pas mon temps. Je monterai à cheval sur la plage ; j’en ai si souvent envie ! J’ai comme cela un tas de petits goûts dont je me prive ; mais il faut se priver de tout quand on veut faire quelque chose. Ah ! quels vices j’aurais si je n’écrivais ! La pipe et la plume sont les deux sauvegardes de ma moralité, vertu qui se résout en fumée par les deux tubes. Allons, adieu, encore au milieu de la semaine prochaine une lettre, puis à la fin un petit billet, et ensuite !!!