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DE GUSTAVE FLAUBERT.

tôme, une ombre, une chose, une chose matérielle vivante, et qui n’a aucun lien dans les idées populaires et poétiques, reportons-[nous] à l’époque, avec l’idée abstraite de l’âme. C’est nous, métaphysiciens et modernes, qui parlons ce langage. Et puis Hamlet ne doute pas du tout au sens philosophique ; il rêve. Je crois que cette observation de Musset n’est pas de lui, mais de Mallefille, dans la préface de son Don Juan[1]. C’est superficiel, selon moi. Un paysan de nos jours peut encore parfaitement voir un fantôme et, revenu au grand jour, le lendemain, réfléchir à froid sur la vie et la mort, mais non sur la chair et l’âme. Hamlet ne réfléchit pas sur des subtilités d’école, mais sur des pensers humains. C’est au contraire ce perpétuel état de fluctuation d’Hamlet, ce vague où il se tient, ce manque de décision dans la volonté et de solution dans la pensée qui en fait tout le sublime. Mais les gens d’esprit veulent des caractères tout d’une pièce et conséquents (comme il y en a seulement dans les livres). Il n’y a pas au contraire un bout de l’âme humaine qui ne se retrouve dans cette conception. Ulysse est peut-être le plus fort type de toute la littérature ancienne, et Hamlet de toute la moderne.

Si je n’étais si las, je t’exprimerais ma pensée plus au long. C’est si facile de bavarder sur le Beau. Mais pour dire en style propre « fermez la porte » ou « il avait envie de dormir », il faut plus de génie que pour faire tous les cours de littérature du monde.

  1. Voir Mallefille, Mémoires de Don Juan, 4 vol. Paris, Souverain, 1852.