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CORRESPONDANCE

de part et, si cet élément dramatique est bien noyé dans le ton général du livre, peut-être ne s’apercevra-t-on pas de ce manque d’harmonie entre les différentes phases, quant à leur développement. Et puis il me semble que la vie en elle-même est un peu ça. Un coup dure une minute et a été souhaité pendant des mois ! Nos passions sont comme les volcans : elles grondent toujours, mais l’éruption n’est qu’intermittente.

Malheureusement l’esprit françois a une telle rage d’amusement ! il lui faut si bien des choses voyantes ! Il se plaît si peu à ce qui est pour moi la poésie même, à savoir l’exposition, soit qu’on la fasse pittoresquement par le tableau, ou moralement par l’analyse psychologique, qu’il se pourrait fort bien que je sois dans la blouse ou que j’aie l’air d’y être. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je souffre d’écrire en ce langage et d’y penser ! Au fond, je suis Allemand ! C’est à force d’étude que je me suis décrassé de toutes mes brumes septentrionales. Je voudrais faire des livres où il n’y eût qu’à écrire des phrases (si l’on peut dire cela), comme pour vivre il n’y a qu’à respirer de l’air. Ce qui m’embête, ce sont les malices de plan, les combinaisons d’effets, tous les calculs du dessous et qui sont de l’Art pourtant, car l’effet du style en dépend, et exclusivement. Et toi, bonne Muse, chère collègue en tout (collègue vient de colligere, lier ensemble), as-tu bien travaillé cette semaine ? Je suis curieux de voir ce second récit. Je n’ai qu’à te faire deux recommandations : 1o  observe de suivre les métaphores, et 2o  pas de détails en dehors du sujet, la ligne droite. Parbleu, nous ferons bien des