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CORRESPONDANCE

puisqu’on ne peut faire crever les autres, et tout suicide est peut-être un assassinat rentré. Cette histoire d’Énault, d’Edma et la misère de ce pauvre Leconte (surtout) nous ont beaucoup attristés hier. Pauvre et noble garçon ! Le succès, les compliments, la considération, l’argent, l’amour des femmes et l’admiration des hommes, tout ce que l’on souhaite enfin est, à des degrés différents, pour les médiocres (depuis Scribe jusqu’à Énault). Ce sont les Arsène Houssaye et les Du Camp qui trouvent le moyen de faire parler d’eux. Ce que j’admire, c’est que ceux-là même (Houssaye par exemple) sont, au point de vue de l’amusement, bassement embêtants. Les Symboles et Paradoxes sont aussi fastidieux pour un bourgeois que le serait Saint Antoine. Eh bien n’importe ! Ils ont tant crié, imprimé, réclamé, que le bourgeois les connaît et les achète. Pauvre Leconte ! C’est de toi l’idée qu’il viendrait à Rouen ? Qu’il ne fasse pas cela ! Il n’y resterait pas huit jours. Mieux vaut s’expatrier en Californie. Quand on est à Paris, il faut y rester, je crois, sous peine de n’y jamais revenir. En sortir est s’avouer vaincu.

Je crois que les souffrances de l’artiste moderne sont, à celles de l’artiste des autres temps, ce que l’industrie est à la mécanique manuelle. Elles se compliquent maintenant de vapeurs condensées, de fer, de rouages. Patience, quand le socialisme sera établi, on arrivera en ce genre au sublime. Dans le règne de l’égalité, et il approche, on écorchera vif tout ce qui ne sera pas couvert de verrues. Qu’est-ce que ça fout à la masse, l’Art, la poésie, le style ? Elle n’a pas besoin